Récits du
folklore tchouktche recueillis auprès de différents informateurs
(lieux et
dates parfois non précisés)
CELUI QUI ALLAIT AU CIEL CHERCHER UNE EPOUSE.
(BELITCH/11.) LA
VIE DE RENARDE.
(BELITCH/12.) LE
RENNE EFFRAYE PAR UNE GRUE CENDREE.
(BELITCH/13.) LE
RENNE ET LE CHIEN
(BELITCH/16.) LE
VER ET LA JEUNE FILLE
LEUR BON COEUR
VIENT EN AIDE AUX COURAGEUX.
Conte
enregistré en 1994 par Margarita Belitchenko-Kavynavyt auprès de Vykvyna, femme
du village d’Elqetveem
Ainsi
donc un homme vivait avec son épouse. Il avait entendu dire d’une jeune fille
d’un clan qu’elle était d’une très grande beauté. Elle était fille unique. Cet
homme dit à sa femme :
-
Quelle est donc cette jeune fille ? Je m’en vais aller la voir... On dit que
ceux qui rendent visite à ce clan, ceux qui vont la demander en mariage, n’en
reviennent jamais. Ils restent là-bas à jamais.
La
jeune fille appartenait bien à ce clan, et en effet ceux qui allaient la
demander en mariage ne revenaient jamais. Ils disparaissaient pour toujours.
L’homme en avait parlé à son épouse, car sa curiosité avait été piquée. Ils
n’avaient pas d’enfants. Ils vivaient seuls, lui et elle. Il lui dit encore :
-
On verra bien. Je vais lui rendre visite. Couds-moi des habits tout blancs :
des bottes de fourrure blanches, des culottes de fourrure blanches, une
combinaison de fourrure blanche, un bonnet de fourrure blanc, des moufles
blanches. Bref quе tout soit blanc.
Elle
les lui cousit. Avant de partir il lui dit :
-
Sache-le ! Quand je serai sur le point de revenir, tu verras au milieu du ciel
tout un espace rond. Sache-le, il t’annoncera que je suis sur le point de
revenir, de te rejoindre dans la yarangue.
Il
partit.... Plus tard, à un moment donné, il vit sur le chemin une petite
vieille dans une yarangue isolée. Il
entra.
-
Qui es-tu ?
-
Eh bien ! C’est moi !
-
Ah bon ! Toi aussi, tu vas chez les gens de ce clan ?
-
Oui.
On
n’ignorait pas que des gens y allaient constamment. On le savait depuis toujours.
-
Veux-tu faire halte chez nous ?
-
En vérité, je vais passer la nuit.
Avant
qu’il reprenne son chemin, tout en buvant le thé, la vieille femme lui fit des
recommandations.
-
Sache bien ceci, lui dit-elle. Quand tu arriveras, le vieil homme, le père de
la jeune fille, t’enverra chercher du bois. Moi, je vais te donner les choses
que voici pour couper du bois.
Elle
lui donna un petit marteau et un coin, un coin à fendre les troncs. Elle lui
donna aussi une petite peau d’hermine.
-
Avant d’arriver, ajouta-t-elle, mets ces choses dans ton giron : la petite peau
d’hermine, le coin, le petit marteau. Sache-le, il t’enverra aussitôt ramasser
du bois. Quand tu seras parvenu à l’endroit, creuse quatre grandes fosses afin
de pouvoir t’y mettre à l’abri. Fais-les bien à tes mesures. Ils demandent aux
gens de couper un gros tronc, mais l’horrible tronc se redresse brutalement. Il
les écrase et ils en périssent.
Donc
elle lui donna de bons conseils.
-
Sache encore : avec le marteau tu feras comme ceci... Puis quand le tronc se
redressera, saute dans une des fosses, et avec la petite peau d’hermine, fais
comme cela. Oui, lève-la. Un peu plus tard tu sortiras de la fosse.
Elle
lui expliqua tout en détail. Le lendemain il partit. Il arriva dans un autre
campement. Une personne y vivait dans une yarangue
à l’écart. Une femme, avant de se coucher, allait vider un récipient
d’urine. Notre homme n’était pas visible, car il se tenait sur fond de neige.
On ne voyait que son bâton de marche. La femme dit :
-
Mais qu’est-ce qui est enfoncé là ? On dirait un gros bout de bois.
-
Mais non, c’est moi !
-
Ah ! Pourquoi n’entres-tu pas ? Attends, je vais dire à l’ancien qu’un hôte
nous est arrivé.
C’était
déjà le soir. Elle parla au vieillard, un homme qui avait plusieurs filles.
-
Un hôte est arrivé, lui dit-elle. Il est là, dehors.
-
Ah ! Qu’il entre !
Le
vieillard dit à sa femme d’étendre des peaux en guise de literie dans le sottagyn et il s’adressa au visiteur :
-
Dans le yorongue tu salirais tes
semelles. Tu vas probablement chez ces gens, là-bas ?
On
lui fit un lit dans le sottagyn. Le
lendemain il partit et arriva à destination. Il passa la nuit. Le lendemain un
vieil homme lui dit :
-
Va donc chercher du bois ! Tire le traîneau. Prends une pelle et une hache.
Il
lui indiqua la direction. Il partit en tirant le traîneau. En arrivant il vit
un gros tronc tout maculé de sang. Que de sang ! Il en était tout recouvert
malgré son énorme taille. Le sang avait figé. A proximité gisaient des
ossements, des ossements humains, car des hommes étaient morts ici.
Il
fit exactement ce qui lui avait été recommandé : il creusa quatre fosses avec
soin, les fit bien à ses mesures, de sorte que sa tête ne fût pas visible. Il
se mit à couper le tronc. Soudain l’énorme tronc se redressa. Il sauta vite
dans la fosse comme on le lui avait dit. Il fit le geste recommandé avec la
peau d’hermine et ressortit ensuite de la fosse. Ainsi il coupa le gros arbre.
Il ramena sa charge de bois couverte de sang, de sang humain.
-
Voilà ! Il l’a abattu, dit le vieil homme, le père de la jeune fille.
Le
lendemain matin le vieil homme lui dit à nouveau :
-
Ma fille n’a pas de quoi faire une bordure de fourrure à son habit.
Rapporte-lui une peau de glouton.
Il
repartit. Il marcha longtemps, très longtemps. Il n’y avait plus personne pour
le conseiller. Il était seul. Il marcha, marcha. Soudain il aperçut une grande yarangue, une « vraie » yarangue. Il entendit dans le lointain
un grondement semblable à celui de la mer. Sans peur il continua d’avancer. Il
entra dans la yarangue. Elle n’avait
pas de tente intérieure. Un kele y
dormait. Un sac lui servait de sotsot.
Un sac rond lui servait de sotsot.
Sur le front du kele endormi il y
avait une forêt. Il se saisit de cette forêt. Il empoigna le sac rond. Il
fourra la main le plus loin possible à l’intérieur du sac. Dans le fond il y
avait une peau de glouton. Il la mit dans son giron et, sans ressortir, il se
glissa dans la botte du kele, une
grande botte en peau de phoque et se cacha dans le passant de la lanière. Dès
qu’il y fut en sécurité, le kele
s’éveilla :
-
Oh ! Un affreux homme m’a volé une peau de glouton. Attends ! Je vais sortir et
je le retrouverai à coup sûr.
Le
kele examina tous les environs.
-
Il n’est nulle part. Où est-il donc passé ?
Or
l’homme était sur lui, dans le passant de sa botte. Quand le kele se remit à ronfler, il en sortit et
se mit en route. Il rapporta la peau de glouton, de quoi faire une bordure de
fourrure à l’habit de la jeune fille. Le lendemain le vieil homme lui dit
encore :
-
Le troupeau est très loin et les bêtes se sont dispersées. Naturellement pour
emmener ta femme tu dois rentrer chez toi avec une caravane de traîneaux. Quand
tu auras ramené le troupeau, nous le partagerons, mais d’abord il te faudra le
regrouper.
Il
repartit. Le vieil homme lui avait bien expliqué. Il lui avait dit :
-
Sache-le, tu trouveras quatre rennes différents, certains comme emmêlés,
d’autres le cou déjeté. Tu rassembleras tout le troupeau. Ne laisse aucun
renne.
Tout
le long du chemin il cueillit des herbes, beaucoup de longues herbes. Il en
arracha tant et plus, puis en marchant il les planta toutes autour de lui.
D’abord il observa les rennes. Il passa plusieurs longues nuits à ficher ces
herbes en terre. Dès qu’il les eut plantées, il prit ses moufles par
l’ouverture et les secoua. Soudain les herbes éclatèrent. Oui, les herbes
éclatèrent. Il ramena l’énorme troupeau. En raison du nombre le troupeau menait
grand tapage, le vieil homme l’entendit : on aurait dit le bruit de la mer.
-
Oh ! Il semble que ce soit le troupeau. Je vais monter sur le toit. On dirait
que le troupeau avance. Quel est ce bruit ?
C’était
bien le troupeau. Dès que les bêtes arrivèrent, les herbes tombèrent. Le vieil
homme regarda. Il compta les rennes dont il lui avait parlé. Quatre rennes
différents venaient justement de ce côté.
-
Toutes les bêtes sont là !
Comme
le vieil homme le félicita ! Comme il le félicita ! L’homme avait accompli tout
ce qu’il avait souhaité.
Pendant
ce temps la première femme de notre homme, la pauvre, attendait son retour.
Tous les matins elle allait regarder : cet espace de ciel, où était-il ? Nul
espace de ciel ! Nulle part ! Elle attendait. Elle allait sans cesse regarder.
Rien !
Comme
il avait tout accompli, le vieil homme lui dit :
-
Repars chez toi avec cette caravane de traîneaux ! Emmène ma fille !
Il
rentra chez lui. Le vieillard lui avait donné des hommes pour faire avancer le
troupeau et pour conduire le train de traîneaux. La jeune fille était dans un
traîneau couvert.
Un
jour sa première femme sortit comme de coutume. C’était un matin. Soudain elle
vit un espace rond dans le ciel.
-
Ah ! Il est de retour, il est de retour ! s’écria-t-elle.
Bientôt
arriva la caravane, et aussi, séparément, le grand troupeau. Seul entre tous il
avait conquis la jeune fille. Grâce à son savoir-faire il avait seul entre tous
conquis la jeune fille. Alors que les autres étaient tous morts.
Voilà
! C’est tout !
raconté
par Qergytvaal. Je vais dire ce conte que m’a raconté ma mère Evtenne (village de
Vatyrkan)
Or
donc autrefois les kele et les hommes
vivaient ensemble et habitaient côte à côte. Les kele vivaient comme des hommes aux côtés des hommes. Ils les
aidaient et étaient liés d’amitié avec eux. Ainsi, dans un village du bord de
la mer, des hommes vivaient avec des kele
à leurs côtés. Dans une yarangue logeait
une famille de kele, un vieillard,
une vieille femme et leur fils qui était déjà un grand jeune homme. Les gens
allaient constamment à la chasse aux animaux marins. Le jeune homme était très
vigoureux, très grand, en très bonne santé. Il apportait toujours son aide aux
chasseurs. Quand ils rentraient à la maison il remorquait même plusieurs
barques. Il était vraiment très robuste. Les kele ne mangent pas la chair des animaux de la mer. Ils n’en
mangent que le foie. Aussi en contrepartie de son aide le jeune homme se
contentait-il de prendre le foie.
Un
jour ils sortirent en mer et se mirent à chasser dans les glaces. La chasse fut
bonne. Malheureusement le jeune kele
était en compagnie d’hommes malveillants qui le tuèrent. Ils lui sortirent le
foie du corps et dirent :
-
Donnons-le à ses parents. Le vieux kele
et sa femme mangeront cet énorme foie, le foie de leur fils.
Eux cependant attendaient à la maison. La
vieille femme n’en pouvait plus d’impatience. Elle allait sans cesse inspecter
la mer. Elle pensait : « Quand donc reviendront-ils ? » Assis sur le sotsot le vieillard restait le visage à
moitié dissimulé dans l’échancrure de son vêtement. Il était accablé. Il avait
compris depuis longtemps. Sa femme continuait d’observer la mer. Elle disait
-
Comme ils sont longs ! Quand donc rentreront-ils ?
Elle
était inquiète, pleine de pensées douloureuses. En fait elle n’avait
probablement pas deviné, mais quelque
chose se passait en elle, et elle était extrêmement alarmée. Soudain là-bas,
loin en mer, apparurent des embarcations. Cependant celle de leur fils n’était
pas en vue. Les barques approchaient de la côte. Elle aurait dû apercevoir leur
fils car il était de très haute taille. Le regard de la vieille femme était
toujours dirigé vers la mer. Elle fixait les embarcations de ceux qui
approchaient. Elle n’avait qu’une pensée : « Mais où est mon fils ? Il est
pourtant le plus grand de tous. » Elle retourna dans son yorongue et dit au vieillard :
-
Où donc est notre fils ? On ne le voit pas.
-
Euh ! se contenta-t-il de marmonner.
Les
chasseurs étaient déjà tout près, mais le jeune homme n’était pas avec eux.
-
Où est notre fils ? leur demanda la vieille femme.
-
Il arrivera probablement plus tard. Il est là-bas, sur la banquise.
-
Eh, mais c’est qu’avant il revenait toujours avec vous. Il remorquait même vos
barques.
-
Oui, mais aujourd’hui il est resté là-bas. Il reviendra un peu plus tard. En
attendant il vous envoie ce gros foie appétissant.
La
vieille femme fut toute réjouie. Elle emporta le foie chez elle. Elle avait
bien tort de se réjouir. Elle dit au vieillard :
-
Regarde cela ! C’est notre fils qui nous l’envoie.
Elle
déposa le foie sur un grand plat et l’approcha du vieillard. Celui-ci restait
assis sur le sotsot, accablé. Il avait compris depuis longtemps, mais il
voulait ménager sa femme. Elle se mit à découper le foie avec son couteau.
Soudain de gros vers en sortirent.
-
Oh ! s’écria-elle. Qu’a donc ce foie ? Pourquoi est-t-il tout véreux ?
-
Ah ! C’est le foie de notre fils, lui répondit le vieillard.
Les
deux vieux éclatèrent en sanglots. Ils pleuraient leur fils, leur unique fils.
Ils en voulaient terriblement aux hommes. Dès le lendemain matin ils allèrent
s’installer dans un autre lieu. Depuis ce temps les kele vivent à part et ils sont devenus invisibles. Ils vivent pour
ainsi dire cachés. Ils haïssent les humains. Ils s’efforcent de leur nuire
autant qu’ils le peuvent. Ils leur envoient des maladies, des fléaux. Ils leur
ravissent leurs enfants qu’ils tuent, sans épargner parfois les jeunes gens et
jeunes filles, voire même les adultes. Naturellement ils ont cessé de leur
venir en aide. Ils sont devenus tout à fait invisibles, les kele.
C’est tout.
(raconté
par Qergytvaal d’après Tyneru)
Ainsi
donc Anqaragtyn et sa femme Varenavyt vivaient au bord de la mer. Un petit
garçon, Galavié, leur était né.
Un
matin Anqaragtyn partit chasser sur la banquise. Il faisait très froid. Il
marcha longuement en direction d’un espace libre de glaces. Vers le soir
seulement il arriva sur place et aussitôt il eut la chance de capturer un
phoque. Varenavyt l’attendait à la maison. Le soir elle alluma la lampe à
graisse dans le sottagyn et elle
ouvrit grand la porte afin qu’il pût distinguer la lampe qui brillait
faiblement. Elle fit cuire de la viande, mit de l’eau à bouillir pour le thé,
puis se glissa dans le relkun.
Soudain
derrière la paroi extérieure un grand kele
approcha en faisant crisser la neige.
-
Pa-a-p, pa-a-p ! cria-t-il.
N’arrivant
pas à trouver la porte il contourna la yarangue:
- Pa-a-p, pa-a-p !
Revenant
de la pêche le kele avait perdu son
chemin. Il finit par entrer et de nouveau cria :
- Pa-a-p, pa-a-p !
Il
posa au pied de la paroi intérieure une de ses énormes moufles pleine de
poissons. La femme était épouvantée. Elle donna rapidement le sein à son fils
et le coucha à l’arrière du relkun.
Elle pensait : « Que faire ? » Dans le relkun se trouvait une marmite enduite de suie. Elle la saisit et
se macula le visage de suie. Elle se noircit abondamment la figure et apparut
brusquement en se mettant à hurler :
-
Je suis Varenavyt ! Je suis Varenavyt !
Le
kele fut saisi de terreur. Il bondit
dehors et décampa à toute allure sans se retourner.
-
Oh ! Quel est cet être énorme ? répétait-il seulement.
Vers
le matin Anqaragtyn arriva chez lui avec le phoque. Il entra dans le sottagyn. La lampe était toujours
allumée. Il appela. La femme gardait le silence. Elle avait peur de se montrer.
Anqaragtyn remorqua le phoque dans le sottagyn
et aperçut la grosse moufle pleine de poissons appuyée contre la paroi de la yarangue.
-
Que de poissons ! D’où sortent-ils ? demanda-t-il.
Varenavyt
ne se montrait pas. Elle était encore sous le coup de la frayeur.
-
Mais je te parle ! D’où sortent tous ces poissons ? finit par dire l’homme
d’une grosse voix.
La
femme apparut enfin. Contre la paroi elle vit effectivement la grande moufle
pleine de poissons.
C’est
ainsi qu’Anqaragtyn et Varenavyt eurent du poisson pour tout l’hiver. Varenavyt
était vraiment une femme intelligente.
dit
par Yatytvaal, noté par Qergytvaal
Ainsi
donc une souris mâle avait ramené chez elle une femelle spermophile pour en
faire son épouse. Sur un plat on poussa vers la femelle spermophile un
récipient plein de délicieux sang suri. En fait c’était une baie, une camarine.
Naturellement la femelle spermophile dévora le tout. La souris dit :
-Je
n’ai vraiment que faire de la femelle spermophile qui vit dans les broussailles
hautes et épaisses du flanc de montagne. Elle est trop vorace.
On
ramena la femelle spermophile chez elle. La souris mâle se prit une souris
femelle pour compagne.
C’est
tout.
dit par Yatytvaal, noté par Qergytvaal
Ainsi
donc il était une petite baie qui dansait sur une petite pierre. Elle dansait,
dansait, dansait. Soudain elle éclata. Qla-i-i-ik !
C’est
tout.
conté
par Alanto en 1963. Village de Tumanskojé
Cela
s’est passé il y a longtemps. Dans la toundra vivait un éleveur fort et adroit
du nom de Nanqynkylvat. Il pouvait rester plusieurs jours sans manger et ne
s’en affaiblissait pas pour autant. Les ennemis avaient très peur de lui. Ils
avaient souvent tenté de l’attaquer par surprise.
Un
jour Nanqynkylvat allait commencer à manger. Il mangeait énormément. En une
seule fois il était capable de dévorer un renne entier. Des ennemis se
glissèrent en tapinois vers lui et le virent qui préparait un endroit pour
faire son repas : il creusait une fosse dans le sol. Puis il dégrafa son ventre
qui était attaché et se plaça dans la fosse. Il commença à manger. Les ennemis
se réjouirent et se précipitèrent vers lui. Ils pensaient qu’il n’aurait pas le
temps de se préparer à la bataille. Ils l’empoigneraient aisément et le tueraient.
Nanqynkylvat
vit les ennemis attaquer. Il se fit rapidement vomir, sortit son ventre de la
fosse, l’enveloppa et l’attacha solidement. Puis il se jeta à la rencontre des
ennemis. A leur habitude, ceux-ci s’enfuirent. Après cela ils cessèrent, pendant
un certain temps, de s’en prendre à lui.
Un
jour ils entendirent dire que Nanqynkylvat était profondément endormi depuis
deux jours. A nouveau ils s’approchèrent en catimini du clan au sein duquel
vivait le preux et le virent qui dormait sur le sol. Comme ils se réjouirent !
Ils le cernèrent et tous ensemble jetèrent leur lance sur lui. Au sifflement
des lances, il sauta sur ses pieds et s’écarta vivement de l’endroit où il
dormait. Les lances s’enfoncèrent à l’endroit où il dormait un instant auparavant.
Il fonça sur eux. Dépourvus de lances ils s’enfuirent une fois de plus dans
tous les sens. Il poursuivit longtemps l’un d’entre eux sans pouvoir le
rattraper. L’homme était très véloce et très adroit. Plus agile que lui. Il le
poursuivit longtemps, jeta sa lance sur lui, mais le manqua. Nanqynkylvat
saisit la lance avant même qu’elle ait touché le sol. Il le poursuivit toute la
journée. Finalement, épuisés, ils firent halte. Ils décidèrent de repartir
chacun de son côté. Avant de s’en aller Nanqynkylvat demanda à l’ennemi :
-
Comment t’appelles-tu ?
-
Anqaroltyn.
-
Qui t’a rendu si rapide ?
-
J’ai appris seul en chassant le renne sauvage.
-
Quand nous mesurerons-nous de nouveau ?
-
Quand tu voudras.
Anqaroltyn
partit vers le bord de mer où il chassait le veau marin, le phoque barbu et le
morse. Nanqynkylvat rentra chez lui. Il possédait un grand troupeau. De temps à
autres les deux hommes se faisaient des cadeaux afin de ne pas oublier leur
accord. Anqaroltyn offrait des défenses de morse à Nanqynkylvat qui, de son
côté, lui donnait des bois de renne mâle. L’éleveur prenait les défenses de
morse et, rien qu’avec ses doigts, les réduisait en poudre comme des vieux
bouts de bois sec. De même Anqaroltyn brisait les bois de renne en petits
morceaux entre ses doigts. De la sorte ils se préparaient à la rencontre. Or
voici que, une fois de plus, les serviteurs apportèrent à Nanqynkylvat une
défense de morse. Il se mit en colère :
-
Quand donc l’ennemi cessera-t-il de se moquer de moi ?
Il
ordonna aux serviteurs d’Anqaroltyn de lui faire savoir qu’il était temps pour
lui d’engager le combat. Il leur rendit sans la briser la défense de morse :
« Ramenez-la à la maison ». Anqaroltyn comprit qu’ils allaient
bientôt se retrouver. La rencontre eut lieu avant le lever du soleil. La lance
en main, Anqaroltyn attendait Nanqynkylvat. C’est dans cette pose que le trouva
Nanqynkylvat. Il comprit que l’ennemi avait peur de lui. Anqaroltyn regardait
sa lance en souriant sans lever les yeux sur Nanqynkylvat. Alors ce dernier empoigna
vivement d’une main la mâchoire d’Anqaroltyn, le souleva du sol et lui dit :
-
Je t’avais bien dit que nous nous mesurerions. Apparemment tu manques de
rapidité.
Sur
ces paroles il le précipita brutalement à terre. L’autre périt et ses os se
dispersèrent dans toutes les directions. Telle était la force et l’agilité de
Nanqynkylvat.
recueilli
par Qergytvaal auprès de Velvyne, village d’Elqetveem
Une
grosse mouette faisait de la barque. Un renard s’approcha d’elle :
-
Tu as une barque. Quelle chance !
-
Eh oui. Où veux-tu aller ?
-
Là-bas, sur cette île, ramasser des oeufs. Je veux aller chercher des oeufs.
Elle
l’emmena sur l’île.
-
Pour le moment ramasse des oeufs. Moi, je vais naviguer un peu par ici. Quand
tu auras fini ta cueillette, je viendrai te chercher.
Elle
le laissa. Il attendit longtemps. N’en pouvant plus, il traversa lui-même.
Arrivé sur la berge il ôta ses habits pour les faire sécher et il enleva aussi
ses yeux. Il s’endormit. Pendant qu’il dormait, un corbeau mangea ses yeux.
Puis il se posa derrière et resta perché là. Quand il se réveilla le renard se
vêtit, mais il ne put trouver ses yeux. Il chercha, chercha. Le corbeau lui
demanda :
-
Que cherches-tu ?
-
Je ne peux trouver mes yeux. Pourtant je les avais mis là à sécher.
-
Ah, je comprends pourquoi certains sont passés par là aujourd’hui. Ils les ont
sûrement pris.
-
Oh, quel malheur ! Comment vais-je faire pour me nourrir ?
-
Je vais t’emmener. Allons-y tout de suite.
Il
l’emmena sur un déversoir d’excréments.
-
Pour le moment nourris-toi ici. Je reviendrai te chercher. Il y a beaucoup à
manger ici.
Il
le planta là. Naturellement on vit le renard et on le tua.
Au
moins pour une fois c’est lui qui aura été berné. C’est tout.
recueilli
par Qergytvaal auprès de Velvyne, village d’Elqetveem
Un
kele avait laissé son chien garder sa
yarangue et était parti en quête de
pitance. Un corbeau s’en vint chez le kele.
Le chien était dans le relkun. Le
corbeau répandit dans la yarangue une
masse de copeaux, puis il ressortit et se mit à manier la doloire. Jusqu’à la
nuit il bricola sans s’interrompre afin que le kele pense : « C’est sûrement la yarangue du corbeau ». Quand le kele revint, le corbeau lui dit :
-
Eh, bonjour. Que viens-tu faire ici ?
-
Mais je rentre chez moi. C’est ma yarangue,
et mon chien est dans le relkun.
-
Pas du tout. Cette demeure est à moi. Et j’y bricole.
-
Mais non, c’est la mienne. Tu vas voir, le chien va être content de me voir.
Ils
entrèrent. Le kele appela son chien :
-
Vyteqyl !
Le
chien tête baissée le regarda de travers. Le corbeau lui dit :
-
Tu vois bien. Il ne t’a pas répondu. Regarde-le à présent : « N’est-ce mon
cousin qui est couché ici en rond ? »
A
ces mots le chien manifesta une grande joie et se mit à agiter frénétiquement
la queue. Alors le kele sortit et
s’en alla.
C’est
tout.
Noté
à Uvelen le 30 août 1948 par P. Skorik auprès du conteur Uvatagyn, chasseur et
graveur sur ivoire de morse, 58 ans.
Ainsi
donc une jeune fille de Memrepen refusait de se marier. Le père disait à sa
fille :
-
J’ai beaucoup vieilli. Marie-toi donc.
-
Non, je ne me marierai pas, lui dit sa fille.
-
Pourquoi ?
-
Parce que si je me mariais, je n’aurais pas une belle vie. Je ne me marierai
pas.
-
Eh bien, tu ne dois plus vivre ici. Que feras-tu ? demanda le père.
-
Qu’il en soit ainsi. Mais je ne veux pas d’homme.
-
Mais moi je vieillis. Comment vivras-tu ?
-
Comme cela se trouvera.
-
Bon, je ne veux plus essayer de te convaincre. Tu m’es inutile. Va où bon te
semble. Tu es ma seule fille. Je t’ai tout donné. Aujourd’hui tu peux dormir
ici dans la yarangue, mais demain
pars. Je ne peux pas te faire changer d’avis. Je t’ai tout donné. Je ne veux
plus tenter de te convaincre.
-
Oui, je te suis inutile. Car je ne veux pas d’homme.
-
C’est bon. Dors, et demain matin va-t-en.
La
jeune fille pleura. Quand elle cessa de pleurer, elle se dit : « Oui, je
suis une femme ».
On
s’endormit. Le père s’endormit, mais la jeune fille ne dormait pas. Quand son
père fut endormi, elle se leva sans bruit et sortit dans la nuit. Elle sortit
un sac. « Que vais-je faire ? Je ne veux pas mourir. Mon père dit que je
mourrai peut-être ». Elle sortit un autre sac, le posa à terre. A nouveau
elle fourra la main dans son sac et en sortit un autre sac qu’elle dénoua.
« Qu’est-ce que cela ? Voici un yuveyu,
c’est une dent de phoque ». Elle y fourra encore la main. C’était une dent
de morse. Elle se dit : « Cela suffira pour aujourd’hui, ces juvet ». De nouveau elle sortit une
chose qui se trouva être une peau de souris. Elle l’attacha et se dit :
« Bon ». Elle prit un autre sac, en sortit une dent de renne. Elle
prit encore un sac, un très grand sac. Elle en sortit un fanon de baleine et un
petit os, de baleine lui aussi. Elle s’arrêta, entra dans le relkun, sortit des kerker, des bottes de fourrure blanche, des moufles blanches, une
peau de veau marin, un bonnet. Une nouvelle fois elle se dressa et sortit un
sac avec un vêtement imperméable kukven.
Elle ressortit du relkun, enfila le kukven, leva les yeux vers la porte.
Elle regarda hors de la yarangue et
se dit : « Il fait beau dehors. Le temps est calme. Il fait bon ». La
lune fit son apparition. La nuit était magnifique. Il faisait clair comme en
plein jour. Elle se mit en route, s’approcha de la barque de son père, y prit
une courroie, un harpon, une rame et se dit : « Il me suffira de prendre
ces choses ». Elle regarda en l’air et se dit : « Voilà mon père et
ma mère. Mais j’ai du chagrin pour ma mère ». Elle fondit en larmes. Elle
se leva et se dit : « Je ne sers à rien, soit. Mon père en a décidé ainsi.
Je vais partir par là-bas. Ma route est bonne car il fait beau ». Elle se
mit en route à pied. Elle arriva à Kenipen et se dit : « Elle est un
peu mauvaise, cette contrée. Je vais aller plus loin ». Elle arriva à
Uvelen. Il y avait une seule yarangue.
Non, pas une yarangue, une hutte de
terre. Elle y était arrivée à la nuit. Elle entra, frappa. Une vieille femme
dans le yorongue passa la tête :
-
Qui est là ?
-
C’est moi.
-
Qui cela, toi ?
-
Je suis de Memrepen.
-
Ah, c’est toi qui n’obéis pas quand ton père te parle. Tu es une mauvaise
femme.
La
vieille rentra dans son yorongue.
Elle fit un signe à son mari qui dit :
-
Qui est-ce ?
-
Une jeune fille est arrivée. Celle de Memrepen.
-
Que fait-elle ?
-
Tu sais bien, elle n’a pas écouté son père qui lui parlait.
-
Et alors ?
-
Il va falloir que tu lui donnes de la viande, dit alors la femme.
-
Qu’elle mange, dit l’homme.
Elle
mangea un peu. Le vieil homme lui dit :
-
Bon, cela suffit. Tu ne veux pas te marier. Va où bon te semble.
-
Oui, je sors.
Elle
repartit. En marchant elle se disait : « Où y a-t-il un campement, un bon
campement ? Je ne vais pas pouvoir en trouver un. Je suis mauvaise. Je n’obéis
pas quand on me parle. Pourtant j’ai raison. Qu’importe si je meurs dehors en
allant à Ilen ». Elle arriva dans la contrée de Uuten. Elle regarda autour
d’elle et se dit : « Voilà une bonne contrée, bien que les lieux soient
encaissés. Mais cela ne fait rien ».
Une
bonne contrée que Uuten ! Elle monta, déposa sa charge. Elle sortit un sac et
le vida. C’était des dents de phoque et de morse. Elle réfléchit et se dit :
« Que vais-je en faire ? » Elle se rendit au bord de la mer. Elle
prit toutes les dents de phoque, ferma les yeux et les jeta sur le rivage. Elle
créa ainsi de nombreux phoques et les laissa aller. Elle remplit le sable de
dents de morse et dit : « Cela, ce n’est rien. C’est une colonie de morses
sur le sable ». Elle en jeta une partie dans l’eau et dit : « Tout ce
que j’ai jeté, ce sont des morses. Bon, j’ai fini : j’ai créé un phoque. J’ai
créé un morse ». Elle remonta et fit des huttes de pierre et d’herbe. Elle
marcha le long du rivage, prit une pierre. Elle prit la pierre dans sa paume et
dit : « Ceci est un brave homme. Cela est sa femme ». Elle dit
encore : « Ce lieu est sans village et sans hommes. On interrogera
cet homme et sa femme, un garçon et une fille ». Elle en créa encore
d’autres. Elle prit une autre grosse pierre, la posa et dit : « Ce sont
des hommes robustes ». Elle dit encore : « Assez de garçons.
J’ai fait des hommes. Attendez, il s’en créera beaucoup. Vous, je vous ai
achevés ».
La
jeune fille de Memrepen se mit en route vers la toundra aux abords de la
rivière Iitveem. Là elle fit des pierres : une blanche, une noire, un silex, un
silex noir. Elle fit des rennes, beaucoup de rennes. Elle leur dit :
-
J’ai achevé ce renne. Bon, je te laisse. L’homme qui te gardera sera créé.
Elle
fit une hutte avec des branchages de buissons. Elle la couvrit d’herbe. Elle
l’acheva, à nouveau prit des pierres, réfléchit et se dit : « Je vais
faire un homme éleveur ». Elle posa deux pierres, l’une en qualité
d’épouse, l’autre de mari. Elle prit d’autres pierres et leur dit :
-
Vous serez des garçons. Bon, je vous ai faits. Développez-vous bien. Je suis
votre créatrice. Je suis une mauvaise femme. Bon, entrez.
Elle
les plaça dans la yarangue et dit à
l’homme :
-
Demain tu t’éveilleras. Tu prendras peur. Tu entendras quelque chose. De
nombreux rennes appelleront. Bon, dormez.
Elle
se rendit au bord de la mer, se bâtit un petit gîte dans l’herbe et s’endormit.
Avant le lever du jour l’homme et la femme sortirent. Ils dirent :
-
Où est notre petite vieille, notre grand-mère ? Cherchons-la.
La
femme de Memrepen était éveillée. Effectivement elle était devenue vieille. La
femme dit :
-
Voilà notre grand-mère.
L’homme
dit :
-
La voilà. Bien, rentrons à la maison.
-
Oui, dit la grand-mère.
-
Allons, lève-toi.
La
grand-mère se leva. Il l’emmena, la conduisit vers son logis. Ils arrivèrent à
la porte. L’homme lui dit :
-
Quel beau temps ! Regarde la mer. Qu’y a-t-il sur le rivage ?
La
grand-mère regarda et dit :
-
Il n’y a rien si ce n’est votre nourriture à venir.
L’homme
dit :
-
Ecoute. Ces choses hurlent : « Reuh, reuh ! » Qui est-ce qui hurle ?
La
grand-mère dit :
-
C’est votre future nourriture. Vous n’aurez pas faim. Vous aurez toujours du
veau marin, du morse, de la viande à manger. Eh bien, mangeons.
-
Quoi ? demanda l’homme.
La
grand-mère dit :
-
Voici le harpon de mon père. Prends-le, descends sur le rivage. Harponne un
veau marin avec ce harpon.
Des
veaux marins il y en avait beaucoup au bord de la mer. L’homme en harponna un,
le tira à lui, le tua d’un coup de harpon à la tête, le chargea sur son dos et
l’emmena chez lui.
La
grand-mère lui dit :
-
Bon, débite ce veau marin.
-
Bien, je vais le débiter.
-
Bon, faites-le cuire. Attendez, je fais faire une marmite, dit la grand-mère.
Elle
fit une marmite de pierre. La femme se mit en cuisine. Quand la viande eut
bouilli, on mangea. Là-dessus la grand-mère se leva, prit sa rame et dit à
l’homme :
-
C’est la rame de mon père. Sortons.
Elle
fit une petite embarcation de bois et lui dit :
-
Fais la même. Quand tu l’auras fini, descends-la sur l’eau.
L’homme
fit une barque de bois. La grand-mère lui dit :
-
Pour le moment range la barque. Fabrique une lance.
-
Je l’ai faite, dit l’homme.
-
Bien, pars vers le bord de la mer, dit la grand-mère.
L’homme
arriva au bord de la mer. Sur le sable il y avait une énorme quantité de
morses. L’homme pensa : « Comment vais-je les tuer ? J’ai peur. Comme ils
crient ! » Il se dit : « Allons-y ! »
Il
en transperça un, le tua, l’écorcha, le débita, lui ôta la peau et l’emporta
chez lui sur son dos. Il dit à la grand-mère :
-
J’ai apporté la peau de morse.
La
grand-mère dit :
-
C’est cela. Tu tueras comme cela. Tends cette peau sur la barque en guise de
coque. Quand tu auras fini, tes enfants grandiront dans cette barque. Chassez
ainsi en mer. En utilisant cette barque abattez des morses à la lance. Et
harponnez des phoques. Voilà quelle sera votre nourriture. Avec le temps les
enfants se multiplieront. Alors à l’avenir vous vous nourrirez bien. Voilà,
j’ai fini. Vous aurez la vie belle.
Un
peu après arriva un éleveur. Il demanda :
-
Où est la grand-mère de ceux du bord de mer ?
L’homme
dit :
-
Oh, notre grand-mère est très sage. Vous aussi vous avez été créés.
L’éleveur
dit :
-
Allons, grand-mère, lève-toi. Allons chez nous.
Il
prit la grand-mère et l’emmena chez lui. Tout en la portant sur son dos il lui
dit :
-
Les abords de notre yarangue sont
pleins de rennes.
-
C’est ainsi que vous vivrez, dit la grand-mère.
Ils
arrivèrent à la yarangue. L’homme dit
:
-
J’ai amené la grand-mère.
L’homme
dit à sa femme :
-
Fais-lui un lit. Etends-lui une peau blanche. Qu’elle mange du renne, du lard
de renne, de la moelle, du saucisson.
La
grand-mère dit à l’homme :
-
Grand merci. Attends. A l’avenir vous aurez la vie belle. Vos enfants se
multiplieront. Moi, qui suis de Memrepen, je n’ai pas écouté quand on me
parlait. Vous, vous avez été bons pour moi. Soyez ainsi.
Elle
est très bonne, la grand-mère. A présent ceux du bord de mer ont nombre de
morses et de phoques.
Le
père de celle de Memrepen pensait : « Où est ma fille ? »
-
Allons voir l’endroit où elle est morte, dit-il à sa femme.
C’était
en hiver.
-
Demain nous partirons en barque.
Le
lendemain il faisait beau. Ils partirent en bateau. Ils arrivèrent à Uvelen. Un
homme de Uvelen dit à la femme :
-
Ton père est arrivé.
L’homme
de Uvelen descendit avec sa femme au bord de la mer. L’homme de Memrepen
demanda:
-
N’avez-vous pas vu ma fille ?
L’homme
d’Uvelen dit :
-
Eh, mais si. Elle vient juste de manger ici. Ensuite je lui ai dit : « Tu
es mauvaise ». Elle n’a pas obéi quand on lui a parlé. Elle est partie par
là-bas. Vas-y aussi.
L’homme
de Memrepen arriva à Uuten et dit :
-
Où est la jeune fille ? Ma fille s’est perdue.
-
Ce doit être le père, dit un homme de Uuten à sa femme.
Celui
de Uuten dit au vieillard :
-
C’est notre grand-mère. Elle est ici.
-
Eh bien, où est ma fille, dit l’homme de Memrepen. Je viens la voir.
-
Bien, allons chez moi, dit l’homme de Uuten.
Ils
montèrent. L’homme de Memrepen vit sa fille et lui dit :
-
Ainsi c’est ici que tu as trouvé un gîte.
Sa
fille lui dit :
-
Oui, car j’étais mauvaise. J’ai fait un village. Tu voulais me donner à un
homme. Du fait que j’étais mauvaise je ne voulais pas d’homme. Bien, viens dans
ma yarangue.
-
Où sont tes yarangues ? lui demanda
son père.
-
Dans la toundra. Allons-y, répondit sa fille.
Ils
arrivèrent. En arrivant à la maison, la fille dit :
-
Mon méchant père est venu. Je croyais que je n’étais bonne à rien. Bon, qu’ils
mangent. Abattez un renne bien gras. Qu’ils mangent de tout : de la moelle, du
saucisson, du poisson.
La
fille dit à son père :
-
Vous avez très bien mangé.
-
Nous allons rester ici, dit le père.
-
Oui, reste ici, lui dit sa fille. Comme tu as vieilli. Eh bien, tu dois mourir.
La
grand-mère dit à l’éleveur :
-
Que mon père meure !
Le
père, celui de Memrepen, dit :
-
Ah non !
Sa
fille dit malgré tout :
-
Meurs. Pourquoi toi, mon père, m’as-tu envoyée vers la mort ? Tu ne m’entends
pas, père ? Je te le dis, meurs. Je dois te le dire, meurs.
Le
père dit :
-
Bon, il faut que je meure.
La
fille dit :
-
Si j’étais morte, toi, mon père, tu aurais mal vieilli. Aujourd’hui tu vas
mourir de la bonne manière. Tu te serviras de tout : du morse, de la viande; du
phoque. Père, quand tu mourras, j’ai beaucoup d’hommes, ils t’emporteront en
haut, dans la toundra. Ne crains rien. Meurs en secret. C’est ainsi
qu’autrefois tu m’as envoyée dehors pour mourir. Eh bien, aujourd’hui meurs.
Elle
dit aux éleveurs et à ceux du bord de mer :
-
Donnez-lui une courroie.
Ils
fixèrent en haut l’anneau de la courroie. La fille lui dit :
-
Attachez-le par le cou.
Ils
l’attachèrent. La fille leur dit :
-
Allez-y.
Ils
tirèrent. Le vieillard resta suspendu et mourut. Sa fille dit aux hommes :
-
Bon, qu’il parte dans la toundra. Que tous les hommes du bord de mer et aussi
tous les éleveurs partent dans la toundra.
La
fille dit :
-
Mon père est mauvais, mauvais. Attachez-le sur un traîneau tiré par des rennes.
Elle
partit. Alors on le déposa sur le sol. Et les rennes dont on s’était servi, on
les abattit là, dans la toundra, on les débita, on retira la peau des deux
rennes.
La
fille dit :
-
Bien, allons à la maison. Laissons-le.
Ils
le laissèrent. Sa fille dit :
-
Seul mon père est mort.
Le
lendemain elle dit :
-
J’ai bien vieilli. Moi aussi je dois mourir. Vous êtes assez nombreux, vous
tous, gens du bord de mer et éleveurs. Je vous ai tous bien faits. Vous avez
été faits par moi. Mangeons de toutes les viandes : phoque, morse, renne. Que
tous mangent, hommes et femmes.
Mangeons ensemble.
Ceux
du bord de mer et les éleveurs dirent :
-
Oh, la grand-mère meurt sans avoir pris de plaisir.
-
Assez, dit la grand-mère. Donnez-moi une courroie.
Elle
attacha elle-même la courroie à son cou.
-
Quand je serai morte, dit-elle, emportez-moi vers mon père dans la toundra. Je
ne suis pas une femme d’éleveur. Je ne le suis pas. Mon père n’était pas
éleveur, mais des rennes l’ont remorqué dans la toundra. Et moi, des hommes du
bord de mer me remorqueront dans la toundra. Que des éleveurs m’emportent aussi
dans la toundra.
Ce
sont des hommes, et non des rennes ni des chiens, qui la remorquèrent dans la
toundra. Rien que des hommes. Quand ils eurent fini, ils rentrèrent chez eux.
Les éleveurs et ceux du bord de mer arrivèrent chez eux. Deux hommes revenus de
la toundra disaient, conversant :
-
Dans ce village de Uuten il n’y avait autrefois pas d’hommes. Heureusement la
grand-mère de Memrepen fut notre créatrice. Aujourd’hui et à l’avenir la vie ne
sera que meilleure. Aujourd’hui Uuten grandit beaucoup. Les hommes vont se
multiplier. La vie est devenue bonne. Il n’y a rien de mauvais. La grand-mère a
tout créé : le renne, le morse, le phoque. Elle a fait toute chose, la
grand-mère. Aujourd’hui il y a ce village de Uuten, vers le nord, au-delà de
Mytqyvlen. Le peuple des Yuvet, ceux
de Uuten, à partir de là s’est créé ce peuple. Une partie s’en est allée dans
toutes les directions : chez les éleveurs, d’autres vers ceux du bord de mer.
Et à Uvelen sont aujourd’hui les descendants du peuple des Yuvet. La famille de Yttuvïi est aujourd’hui à Mytqyvlen. Leur père
est de Uuten, du peuple des Yuvet lui
aussi. Nenek est le descendant du peuple des Yuvet.
C’est
tout.
Conte
recueilli par Qergytvaal auprès de Tyn’en’evyt, de Meïn’ypilgyn.
Une
grande femme-kele vivait dans sa yarangue. Des petites filles-souris
faisaient des glissades. La femme-kele
cousait :
-Qu’est-ce
donc qui me bouche la lumière ? Ce sont sûrement mes joues.
Il
se trouve que c’étaient les petites souris en train de faire des glissades. La
femme-kele trancha une de ses joues.
Le sang ruissela, et elle pensa : « Ma couture a de très jolies
couleurs ». A nouveau quelque chose lui boucha la lumière. Elle se trancha
la lèvre, mais n’y vit pas plus clair. Elle finit par sortir de la yarangue.
-C’étaient
donc elles. Mes petites-filles, venez ici.
Elle
les attrapa, les mit dans un sac qu’elle suspendit, les y laissa et partit dans
la toundra en disant :
-Attendez-moi
! Pour le moment je vais chercher de la nourriture.
La
renarde passa par là : « Où donc est-ce que j’entends pleurer ? » Or
les petites souris pleuraient à chaudes larmes dans le sac. La renarde leur dit
:
-Que
faites-vous là-dedans?
-C’est
grand-mère qui nous y a mises.
-Mais
moi je ne peux pas entrer.
-Une
pierre barre la porte. Quand on lui dit un mot, elle s’écarte. Dis seulement :
« Ecarte-toi, pierre ». Elle s’écartera.
-Pierre,
écarte-toi, dit la renarde.
La
pierre s’écarta aussitôt. Elle entra, fit sortir toutes les souris du sac et le
remplit de brindilles. Puis elle leur dit :
-Rentrez
chez vous. Avant de partir en transhumance, abattez un renne. Taillez le dos et
laissez-le sur l’ancien campement.
Or
la femme-kele revenait chez elle.
Tout le long du chemin elle avait tendu l’oreille. Elle pensait : « On ne
les entend pas du tout. Elles ont dû s’endormir ». En arrivant elle dit :
-Pierre,
écarte-toi.
La
pierre s’écarta. Elle frappa le sac avec un grand couteau. Des poussières lui
bouchèrent la vue.
-Cette
renarde se moque encore de moi. Elle a fait sortir les petites filles-souris et
les a relâchées.
Elle
partit sur leurs traces et chercha longtemps les fuyardes. De son côté la
renarde s’était jointe à une file de traîneaux. Elle avait demandé :
-Où
donc m’asseoir ?
-Là-bas,
tu vois, dans le traîneau couvert.
Elle
dévora les provisions du traîneau couvert et dit :
-Je
commence à avoir froid.
-Tu
n’as qu’à monter là-bas dans le traîneau qui transporte la nourriture.
De
nouveau elle dévora les provisions. On planta le camp. Elle dit :
-Dressez
le camp. Que votre fils plante la yarangue.
Pendant ce temps je rejoindrai le troupeau.
Elle
dit au fils-kele qui gardait le
troupeau :
-Je
vais faire paître le troupeau. Va rejoindre ceux qui dressent le camp.
Elle
abattit tout le troupeau et ne mangea que la moelle des os. Un vieux kele, une fois la jaran’e montée, se prépara à partir pour le troupeau. L’autre vint
à sa rencontre :
-J’ai
bien nourri les bêtes. Regarde, elles sont toutes couchées.
-Dans
ce cas va te réchauffer et te restaurer, dit le vieillard, qui ajouta alors
pour sa femme :
-Tue
la renarde. Elle a abattu tout le troupeau.
Mais
la vieille, la femme du vieux kele,
n’avait pas du tout d’oreille, et elle demanda à la renarde :
-Que
dit-il donc ?
-Il
dit : « Fais-la bien manger. Donne-lui du gras fondu, car elle a bien
engraissé les bêtes » répondit-elle.
Soudain
le grand kele revint et ressortit
précipitamment
-Pourquoi
n’as-tu pas tué la renarde ? Elle a abattu tout le troupeau.
Le
vieux partit sur ses traces. L’autre, manifestement, avait filé en faisant des
zigzags, et elle avait planté sa yarangue.
Quand il la trouva, elle était chez elle. Elle avait mis de l’aulne à tremper
et feignait d’être tombé malade. Il lui dit :
-Pourquoi
donc as-tu abattu le troupeau ?
-Qui
donc l’a abattu ?
-Je
crois que c’est toi.
-Des
renards, il y en a beaucoup. Pour ma part je suis accablée d’une diarrhée
sanglante... Ne pourrais-tu aller vider mon pot d’urine ?
-Oh,
ma pauvre petite, tu as encore de la diarrhée sanglante !
Il
emporta le pot d’urine.
-Ne
te retourne pas. Va le porter tout droit vers le mont pierreux.
Elle
le suivit en tapinois. Dès qu’il arriva à la cime du rocher, elle le poussa
brusquement.
-O-o-o ! Le pot de chambre de ma petite-fille ! cria le vieux
-Je
ne suis pas ta petite-fille, grand kele
!
Naturellement
le grand kele mourut. Quant à la
renarde, elle partit vers le bord de la mer. Le long du rivage naviguaient des
grues. Elles nageaient.
-Tantines,
vous devriez m’emmener avec vous, vous qui avez de jolies combinaisons grises.
-Nous
ne t’emmènerons pas. Notre barque pourrait se briser. Or toi, tu n’as pas
d’ailes. Tu te noierais.
Puis
des oies passèrent. La renarde leur dit :
-Tantines,
vous devriez m’emmener avec vous, vous qui avez de jolies combinaisons
ouvragées.
-Nous
ne t’emmènerons pas. Notre barque est faite d’un morceau de glace. Elle se
briserait.
Des
mouettes passèrent.
-Tantines,
emmenez-moi avec vous.
Elles
l’emmenèrent :
-C’est
bon, monte !
La
barque commença à se briser. Les mouettes s’envolèrent. La renarde, elle, passa
plusieurs jours dans l’eau. Trempée, glacée, elle regagna le rivage. Elle se
dévêtit complètement. Elle retira même ses yeux avant de se coucher. Elle
s’étendit et se réveilla après un bon sommeil. Mais un kele devait avoir mangé ses yeux. A tâtons elle les chercha
longuement.
-Le
kele les a certainement mangés. Je
leur avais pourtant dit : « Ecoutez ! Regardez ! Donnez-vous des petits
coups sur les joues si quelqu’un approche ! »
Elle
palpa le sol autour d’elle et trouva une airelle rouge et une airelle des
marais. Elle se les mit en guise d’yeux. Seulement la terre était devenue
rouge. C’étaient de très mauvais yeux. Elle finit par les enlever. Elle se
remit à tâter et trouva une camarine et une busserole. Elle se les mit en guise
d’yeux. Elle alla vers la falaise et vit un tas d’oeufs que quelqu’un avait
ramassés, probablement un homme. Elle s’en approcha. Un ours arriva qui dit à la
renarde :
-Tu
as de la chance d’avoir trouvé tous ces oeufs.
-C’est
bien vrai. Si tu veux, mangeons-les, puis je descendrai en chercher d’autres
car je suis légère.
Quand
ils eurent mangé, elle dit à l’ours :
-Couchons-nous,
et quand nous nous réveillerons je descendrai chercher les oeufs.
En
s’allongeant, elle dit à l’ours :
-Je
me mets du côté de la falaise, mets-toi du côté de la toundra.
Dès
que l’ours fut plongé dans le sommeil, elle passa de l’autre côté et dit :
-Eh,
tu me pousses ! Recule-toi un peu.
L’ours
se retourna et bascula dans le vide. Il se brisa les os et mourut.
C’est
tout.
Récit de Vykvyn publié en 1989 dans la revue
Aïverette N° 6.
Galgagyrgyn
gardait le troupeau. Il grimpa vers une hauteur d’où on le voyait les bêtes. Le
vent soufflait légèrement. Des rennes se mirent à le humer. Juste en face d’eux
se trouvait une grosse grue cendrée. On l’avait probablement fait lever de son
nid. Certaines bêtes se dirigèrent lentement vers elle. Un jeune mâle les vit.
Il courut dans leur direction.
Curieux,
le jeune mâle se plaça à l’avant de la troupe. Une fois devant, il s’approcha
petit à petit de la grue. Celle-ci ne s’enfuit pas. Elle recula seulement le
cou. Le jeune mâle s’approcha encore. Quand il fut tout près, la grue lui
flanqua brusquement un coup de bec sur le front.
Il
fut fort épouvanté. En reculant brusquement il tomba, et les autres rennes
s’affalèrent à sa suite. Il se releva rapidement et partit au galop en
direction du troupeau. Il ne s’arrêta que lorsqu’il fut au milieu des rennes.
De là il se mit à jeter des coups d’oeil.
Ainsi
la grue avait puni le jeune mâle trop curieux. C’est tout.
dit par Vykvytagyn’a. Aïverette N° 7. 1991.
Un
renne paissait. Il cherchait des champignons. Soudain il vit un chien à
l’attache et lui demanda :
-Dis-moi,
l’homme prend-il bien soin de toi ?
-Non,
je suis toujours attaché. Quand je m’échappe, il me flanque une rossée. Et toi,
comment vis-tu ?
-Très
bien. Il y a beaucoup de nourriture. Si je boite, on me soigne. On me protège
des loups. Les vieux rennes, on les abat pour en faire de la nourriture et des
vêtements chauds. En hiver on m’utilise comme renne de trait.
Le
chien se mit à réfléchir : « Il vaut
mieux être à l’attache. A quoi bon errer de ci de là ? ».
dit
par Vykvytagyn’a. Aïverette N° 7. 1991
Un
aulne qui poussait au bord d’une rivière rencontra un aulne qui poussait sur le
versant d’une montagne.
-Bonjour,
lui dit-il. On dirait que nous nous ressemblons, simplement tu es plus rouge et
plus grand.
-Je
pousse au flanc de la montagne, répondit l’autre, et j’ai tout ce qu’il me faut
: les rayons du soleil, le vent, l’eau. C’est pourquoi je suis rouge. Mais toi,
pourquoi es-tu si blanc ?
-Je
pousse au bord de la rivière et je me reflète sans cesse dans l’eau.
Et
ils s’en furent chacun de son côté.
dit
par Vykvytagyn’a. Aïverette N° 7. 1991
Un
homme et une femme vivaient dans le dénuement. Il ne leur restait que très peu
de nourriture : pour un jour seulement. Un soir, en se couchant, ils
entendirent un frôlement autour de la jaran’e.
Toute la nuit on marcha autour de la demeure. Le lendemain quand ils
s’éveillèrent ils virent toutes sortes de traces, des grandes traces qui
avaient été faites dans la neige comme avec une scie.
Le
lendemain soir ils déposèrent près de la porte un plat avec de la nourriture.
Le surlendemain matin, quand ils s’éveillèrent, ils trouvèrent une tresse dans
le plat. Ce n’était pas une tresse ordinaire, car à partir de ce jour-là
l’homme et la femme eurent toujours de la nourriture et ils vécurent à l’aise.
dit par Ietgevyt. Aïverette N° 7. 1991
Cela
se passait il y a très longtemps. Une femme et sa fille vivaient seules. La
fille avait une tresse très épaisse. Elle était jolie et travailleuse. Un jour
elle demanda à sa mère du tendon pour faire du fil. En outre elle voulait se
dresser un yorongue à part. La mère
l’écouta et accéda à sa demande.
-
Qu’il soit fait selon ton désir, dit-elle. Bâtis-toi un yorongue et fais-toi du fil.
La
fille se bâtit un yorongue à part.
Chaque soir elle passait tout son temps à effiler du tendon. Elle chantonnait.
La
mère s’ennuyait. Elle l’écoutait faire son fil et chantonner. Soudain un jour
elle l’entendit qui riotait toute seule comme si on la chatouillait légèrement.
Elle regarda, tendit l’oreille. Un peu plus tard elle jeta un coup d’oeil par
la portière sur sa fille qui de nouveau parlait en catimini et se retenait à
grand peine de rire. Soudain elle aperçut par le trou d’un sac un gros ver
semblable à un boyau. Sa fille effilait le tendon et approchait les fils ainsi
obtenus du sac troué. Le ver-boyau les avalait tout rond.
Quelques
jours plus tard le ver avait tellement grossi qu’il était fort à l’étroit dans
le sac. Alors il dit à la jeune fille :
-
Un grand merci à toi qui m’as nourri, qui t’es donné du souci pour que je n’aie
pas faim. Emporte-moi demain au petit matin. Ramasse du bois sec, allume un feu
et jette-moi dans les flammes tel quel, avec le sac. Puis fais aussitôt
demi-tour. Ne te retourne surtout pas
et rentre immédiatement chez toi. Une fois arrivée, garde le silence, ne
t’afflige en rien et même parle avec une grande joie.
Elle
fit exactement ce qu’il avait dit. Avant de se coucher elle dit à sa mère que
le lendemain elle irait dans la toundra.
Arrivée
dans la toundra elle chercha du bois sec, alluma un feu et, après avoir jeté le
sac dans le feu, elle s’en fut droit vers la yarangue. Elle ne se retourna pas. Une fois chez elle, elle resta
silencieuse. Soudain, sans crier gare, les voisins se mirent à crier :
-
Regardez ! On amène un troupeau entier par ici.
Tout
le monde se précipita dehors. La jeune fille inquiète sortit elle aussi, puis
elle se mit également à pousser des cris de joie. Tout un troupeau cheminait
lentement en direction du campement, venant visiblement de l’endroit où elle
avait jeté le gros ver dans le feu. Un homme faisait avancer les rennes devant
lui. Il était très svelte, très beau. Dès qu’il se fut approché de la jeune
fille, il lui dit :
-
Vois comme tu m’as bien nourri. Tout ce troupeau sera notre bien commun.
La
mère et la fille furent d’autant plus heureuses qu’auparavant elles vivaient
dans le dénuement et qu’elles n’avaient pas de rennes. A partir de ce jour la
jeune fille et l’homme au grand troupeau
vécurent ensemble et ils eurent une existence très agréable.
Ainsi
donc un petit garçon vivait avec sa tante malade. Ils étaient très pauvres et
si affamés qu’ils avaient mangé toutes leurs ceintures et autres lanières.
Un
jour le garçonnet marchait au bord de la mer dans l’espoir de trouver quelque
nourriture. Il s’était aventuré assez loin du village, mais n’avait rien
trouvé. Il s’en revenait tristement, la faim au ventre. A la maison sa tante
malade n’avait pas mangé non plus.
Il
longeait la mer en direction de sa demeure quand soudain une vague rejeta sur
la grève un tout petit phoque. Comme il fut content, le garçonnet, d’avoir
trouvé à manger ! Tout à coup dans l’eau se montra un gros phoque, la mère du
petit. Elle s’adressa au garçon :
-
Je t’en prie, rejette mon enfant dans la mer.
Le
garçon avait très faim, mais il eut quand même pitié du petit phoque. Il se
souvint que sa tante lui disait toujours : « Sois compatissant envers les
faibles. Protège-les et défends-les ». Bref il rejeta le phoque à l’eau.
Le petit être ne devait pas oublier le garçonnet.
Quand
il fut rentré chez lui sa tante lui demanda :
-
Eh bien ! N’as-tu rien trouvé ?
Il
raconta qu’il avait trouvé un petit phoque, mais qu’il l’avait remis à l’eau.
Sa tante se mit à le disputer.
-
Mais tu me disais toi-même qu’il ne faut pas maltraiter plus faible que soi,
lui dit-il alors.
La
tante cessa de le gronder.
Le
garçon grandit. Il devint un vigoureux chasseur d’animaux marins. Sa tante
s’était rétablie. Ils vivaient bien désormais. Ils étaient à leur aise.
Un
jour le jeune homme partit chasser sur la banquise. Soudain une bourrasque se déchaîna.
Le vent du sud brisa la glace et l’emporta loin en mer. Quand le beau temps fut
revenu, apparut le phoque que le garçon avait épargné. Non sans peine le phoque
ramena le gros bloc de glace vers le rivage. Quand le jeune homme rentra chez
lui, sa tante était alarmée au plus haut point.
-
Comment as-tu fait pour t’en sortir ? lui demanda-t-elle.
Il
lui répondit :
-
Le phoque m’a aidé. Il y a un adage : leur bon coeur vient en aide aux
courageux !