В. БОГОРАЗ

МАТЕРИАЛЫ ПО ИЗУЧЕНИЮ ЧУКОТСКОГО ЯЗЫКА И ФОЛЬКЛОРА

САНКТ-ПЕТЕРГУРГ 1900

 

BOGORAZ

MATERIAUX POUR L’ETUDE DE LA LANGUE ET DU FOLKLORE TCHOUKTCHES

SAINT-PETERSBOURG 1900

(Les titres et les notes sont de Bogoraz)

 

8. Вэрэтгыргын (записано от чукчи Айваӈата осенью 1897 г. в Нижнеколымске)


Гачыӈаймээткольатлен якотыльывэлыткъолявыл Элыгыӄы. Тъэче гивигъи, ачыӈ эвнэплыткукэ. Ӄынвэр-ым ытлён ранторкын, трэннонтаркын. Ытлыӄыпы ӈоон. Ынкъам вай чымӄык рэмкын Омылёк гитлин, ечьамэттомгычгын ӄол Ролтывъечгын, гиквичилин ӈэнку, ӄаарамкык Ункуулынэ гъэӄимлюлин. Гынрыргыргын ынин, пинтыӄэтыльын нэтэгъечгын ныӄитыӄин-ым, ынкъам аалёмка нынъэлӄин ёк. Ръэнут-ым, ӄытлыги гачмовагыргын гатагъяӈыӈӈолен. А’ргырго рытчынин, ёк лывавыӈӈонэн нэтэгъейӈын. Ӄынвэр-ым эвыр вэрэтвэтгавыӈӈогъэ ӈэвтумгык-ым, ниркэнэ, Ункуулынэ. Нымтакачго вай ытлянъёйӈын. Ӄоныръым эвын этынвата Трэннонтагъэ. Миӈкри ӈинывмиӈыльын ӈэвъэн. Ръэнут-ым ытлён ынӄэн а’ргыргын льунин. Ӄоныръым эвын ытлыгын ымыӈ виритэ гитлин, ынӄэн кылеркынин. Гук! Ытлыгын янот иа’м этлы атвыка? Нэмэ э’ӄэпуӄыльын ӄыятлепы, а’ляёк нылвавӄэн. Ӄытлыги выквын гатомгатлен ӄыетлычыку, элгывыквын, ръэнут, наӄам нутгыӄин, таӈковлёкы вальын. Нанывъечыко въиплыткук нэнчичьэтгъэн. Ръэнут-ым ытлён виритгъи. Ынпычьэккэтэ рытрылпыннэн. Читэвын въэвъентогъэ. Рытъэннин валы йытонэн, тыгинрынин, нэмэ эюгъи, тэӈыткэеквъи, лывавыӈӈонэн тымык. Ӄынвэр ынан чинит иквъи: ,,Опопы ӄынэнывъэквытык!,, Ӄэглынангэт нанэлгыпатгъан, ынӄэната нанмыгъан. Плыткунэӈу, нотаӈ рылык, ӄыетлын нэгитэгъэн. Эвыӈан ягталма выква нъаляёӄэн, чыгэе, рэӄэ. Эвын выквылгын нэльугъэн. Ынкъам ынӄэн экык нэмыӄэй ынӈин итгъи яачы. Ынӄэн-ым ӈэвтумгык вэрэтвэтгаквъэ. Эвыр-ым валёмгъат чымӄык, лымаляквъат. Торлымалявкы ытлянъёгты нэнльэтэтгъэн, парааттэгчыко нэйӈэгъэн. Ӈэнку нэнчегитэтгъэн. Ӄэлюӄ-ым ытленъютэ рырылпынэн, нэмэ лывавнэн. Ӄэйвэ ӈэвэӄ ынан чинит нинивӄин:

- Аны вай! Мэчӈунри ӄынтэгъеӈэвыркын валы! 

Вэнлыги нэналвавӄэн. Ӄынвэр-ым нэмыӄэй, ытлыгын ӄынур, вэтгав яанэн:

- Опопы ӄинэнилгыпэтгытык!

Ӄэглынангэт нэнилгыпэтгъэн. Ынӈатал нанмыгъан. Ръэнут-ым, ытръэттэгын.


8. Mort volontaire(1) (noté auprès de Ajn’anvat en été 1897 à Nijnekolymsk)

Elygyqy avait beaucoup emprunté à un marchand yakoute. Pendant plusieurs années il ne put éteindre sa dette. Finalement il partit de chez lui pour se rendre à Trennon, de là-bas, de la toundra. Or voilà qu’une partie des gens traversait l’Omolon(2), dont un de ses frères, Rultyvié, qui avait bu là-bas, s’était enivré chez l’Evène Unkuul. Il avait un souci : son intestin grêle qui sortait (hernie), gelait et ne voulait pas rentrer. Et quoi ? Visiblement le malheur voulait de lui(3). Le mal s’était emparé de lui. Il ne pouvait pas rentrer son intestin. Il finit par demander au co-époux de sa femme de lui donner la mort, comment déjà ? Ah ! Oui, Unkuul(4). C’était le frère cadet du voisin.

Donc il se rendit à Trennon où il n’avait pas de domicile(5). Sa femme avait des enfants en bas âge. C’est ainsi que la maladie avait jeté l’oeil sur lui. Au demeurant son père était déjà mort de mort volontaire, et il lui emboîtait le pas. Guk ! Pourquoi n’ai-je pas parlé de son père avant ? Lui aussi il avait beaucoup de gaz qui sortaient de son derrière. Il ne pouvait déféquer. Apparemment des cailloux s’étaient formés dans son derrière, des cailloux blancs, quelque chose, mais mous et tout ronds. On avait recherché après sa mort(6). C’est pourquoi il avait demandé qu’on le tue. Son fils aîné l’avait mis à mort( 7). Il pensait qu’il avait poussé le dernier soupir, retira le couteau, l’extirpa d’une secousse (8), mais il revint à lui. Il reprit ses esprits. Il n’avait pu mourir. Il finit par dire lui-même : « Donnez-moi la mort ! » De fait on l’étrangla et il en mourut. Tout de suite après on l’emmena dans la toundra(9)et on examina son derrière. Même de son vivant, en déféquant, il faisait des cailloux du sable, quoi encore. Alors on avait trouvé un caillou.

Or le fils aussi fit de même après lui. Et il demanda au co-époux de sa femme de le mettre à mort. Certains l’entendirent et le crurent. L’ayant cru, ils l’emmenèrent chez son frère cadet en le chargeant sur un traîneau à rambardes(10). C’est là qu’on accomplit la chose. Bien entendu le cadet s’en chargea, mais il ne put pas non plus. En vérité il le lui avait bien dit lui-même : « Vas-y ! Efforce-toi d’enfoncer le couteau un peu plus de côté ! » Malgré cela il n’avait pas pu. Lui aussi, comme son père, il dit : « Etranglez-moi ! » Effectivement ils l’étranglèrent. Alors il mourut. Eh bien ! C’est tout.

Notes

1. L’événement raconté ici a eu lieu dans la toundra occidentale en 1894. Veretirgyn « mort volontaire ». Chez les Tchouktches chaque individu désireux de quitter la vie a le droit d’exiger de ses proches parents qu’ils le mettent à mort, et ils n’ont pas le droit de le lui refuser. De ce droit disposent les personnes gravement malades, comme le héros de ce récit, afin de mettre fin à leurs tortures, qui sont souvent insupportables étant donné le mode de vie des Tchouktches. Il en est de même pour les personnes âgées décrépites et enfin, parfois, pour des personnes dégoûtées de la vie en raison d’insuccès, de chagrin pour un proche décédé, etc. Parmi les Tchouktches de la Kolyma il se produit chaque année des cas de mort volontaire, sans parler des suicides au sens propre. Au départ, les proches s’y opposent habituellement et tentent de dissuader la personne qui souhaite mourir, mais d’ordinaire elle persiste, d’autant que renoncer à son intention de mourir lorsqu’elle a été déclarée n’est pas sans danger par rapport aux esprits, ce qui entre autres est visible dans le texte N°10. Il n’y a pas chez les Tchouktches d’obligation de mourir de mort violente de la main de leurs proches, bien que dans de nombreuses familles une telle fin passe de génération en génération comme un exemple de courage, et encore plus comme un factum, auquel seuls peu de gens peuvent se soustraire.

2. Omylog gitlin « il traversa l’Omolon ». La rivière Omolon est le principal affluent de la Kolyma. Les Tchouktches de la toundra occidentale, proches de la Kolyma, s’éloignent en général pour l’hiver vers les contrées forestières du confluent avec l’Omolon. Certains d’entre eux, pour le négoce de printemps, se rendent dans la ville de Srednekolymsk, en tchouktche Trennon, bien qu’en majorité ils soient enclins d’aller à Nijnekolymsk et au fortin d’Aniouïsk.

3. qasmu-vayrgyn « malchance ». A la différence de tajn’u-vayrgyn, ce mot exprime le mal survenu pour des causes extérieures sans aucun élément de crime personnel.

4. Unkuul, le Toungouz de la toundra Prokopi Atlasov, marié à une Tchouktche. En l’occurrence il est le compagnon par les femmes du Tchouktche Eligyky.

5. etinvata trennontae « il se rendit à Srednekolymsk, dans la famille d’autrui », c’est-à-dire, en dépit de la coutume tchouktche, seul dans une autre famille, car la femme d’Eligyky, ayant un nourrisson, ne pouvait prendre part au voyage.

6. nanuvgesyku vi-plytkuk nensisetjen « on regarda dans le rectum après la mort ». Pendant les obsèques les proches découpent habituellement le corps pour rechercher les causes de la maladie, essentiellement pour ne pas laisser passer les signes possibles d’un «  mauvais sort » jeté par autrui et qui demanderait vengeance.

7. ryrylpyryrkyn « accompagner ». Usité aussi pour les gens qui prennent une part directe dans la mise à mort d’un tel viritylyn.

8. tyrkinryrkyn « retirer quelque chose de bloqué ». Les Tchouktches disent qu’un tué qui a la force de retirer un couteau de sa blessure ne meurt pas sur le coup. C’est pourquoi, si le viritylyn arrache de sa poitrine le couteau ou la lance, on l’achève d’habitude en l’étranglant, comme c’est le cas ici. L’étranglement est du reste aussi en lui-même une forme de mort volontaire. Dans ce cas l’épouse tient habituellement sur ses genoux la tête de celui qu’on étrangle, alors que les fils et les frères tirent sur la courroie.

9. nota-n-relyk « emportant dans la toundra ». Les corps sont soit incinérés, soit abandonnés dans la toundra pour y être mangés par les bêtes sauvages, selon la tradition héréditaire de chaque famille.

10. para-attek « traîneau à rambarde », c’est-à-dire entouré d’une fine rambarde peu élevée. Ce genre de traîneau est employé pour le transport de la vaisselle et autres objets de petite taille. On a transporté le malade sur un traîneau de ce genre afin qu’il ne tombe pas en chemin.