Miscellanées tchouktches
Charles Weinstein




Introduction
Avant propos
La langue tchouktche


Grammaire du tchouktche

Lexique thématique

Littérature tchouktche

Iconographie

Bibliographie

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La Tchoukotka occupe un vaste territoire à l’extrême nord-est de la Russie, entre les océans glacial arctique et pacifique. Les premières populations - Yupiks (Eskimos) (environ 1500 personnes) et Lygoravetlat (Tchouktches) (environ 15.000 personnes) y sont devenues minoritaires depuis la seconde moitié du 20ème siècle.  C’est une zone fermée : il  est nécessaire d’obtenir une autorisation spéciale de l’administration du territoire pour s’y rendre, et aussi pour se rendre en tout point situé hors de la capitale Anadyr. Cela ne facilite pas le travail des personnes désireuses d’y faire des recherches.

Carte de la Tchoukotka   Cliquez sur la carte pour l'agrandir

De même que dans bien d’autres régions de Russie et du monde, les autochtones de Tchoukotka ont été amenés à faire un complexe d’infériorité vis-à-vis de leur culture et de leur langue, à ne pas les transmettre à leurs enfants. La langue tchouktche est aujourd’hui en voie d’extinction, comme le peuple tchouktche est en voie d’assimilation. Les enfants, les jeunes et autres personnes arrivant à la cinquantaine ne parlent plus aujourd’hui, en règle générale, que la langue russe.

Des spécialistes russes ont, depuis la fin du 19ème siècle avec V. Bogoraz, et plus tard P. Skorik, publié des travaux sur la langue tchouktche. Les spécialistes autochtones ont été cantonnés essentiellement dans le domaine de la lexicologie (P. Inenlikeï - thèse sur l’adverbe, I. Kulikova – thèse sur le lexique concernant le renne). Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on ne les a pas poussés à explorer les vastes domaines non décrits de la langue, non plus que sa très riche syntaxe.

Il faut cependant signaler que Rytgev (Y. Rytkhéou), écrivain tchouktche qui a publié le plus souvent en russe, a créé, dans ses premiers écrits (en tchouktche) et dans ses traductions du russe, une véritable langue littéraire tchouktche qui témoigne des ressources potentielles de cette langue. Outre cette ébauche de langue littéraire dont on trouvera ici l’écho, le lecteur se souviendra que certaines entrées relèvent de registres parfois ésotériques (langue des incantations, des cultes, des rites, des mythes, des contes, des proverbes, etc.).

Lexique

Le présent lexique est le fruit d’une collaboration de treize années avec des informateurs tchouktches, souvent sur place, en Tchoukotka. Avec eux j’ai pu, tout en traduisant en français de multiples écrits, mythes, contes, récits, romans, etc., faire des relevés systématiques d’entrées lexicales. A travers les thèmes explorés l’utilisateur découvrira une autre culture, d’autres croyances, d’autres coutumes, un autre mode de vie. Une brève introduction précède chaque thème.

J’ai complété mes propres sources en puisant dans des travaux antérieurs, notamment dans le dictionnaire tchouktche-russe de V. Bogoraz (1937), le dictionnaire tchouktche-russe de T. Moll-P. Inenlikeï (1957), le dictionnaire thématique de base koriak-tchouktche de A. Joukova-T. Kurebito (2004), les dictionnaires non publiés de P. Inenlikeï et de G. Ranavroltyn (voir la bibliographie), ou les lexiques de A. Tevlalqot et de G. Tegret.

Les entrées, d’abord limitées au mot tchouktche et à sa traduction en français, ont été complétées par des traductions en anglais et russe. Une entrée a été parfois assortie de la phrase ou de l’expression dans lesquelles le mot a été recueilli. Dans ce cas j’ai indiqué en abrégé entre parenthèses le nom de l’auteur et la page de l’œuvre d’où cette phrase a été extraite (par exemple Ятг 3/26, c’est-à-dire Iatgyrgyn recueil de contes page 26). Il a pu arriver que, par un malencontreux oubli, la phrase soit donnée sans référence à l’auteur et à l’œuvre. Que le lecteur veuille bien m’en excuser. J’ai complété les termes directement liés à un thème donné par des mots s’y rapportant de façon indirecte, mais susceptibles d’en brosser un tableau plus général.

Certaines formes notées par V. Bogoraz, pionnier des études sur la chose tchouktche (à une époque où il n’y n’avait pas d’écriture), sont fautives, mais je les ai conservées de façon que le lecteur, lorsqu’il les rencontrera en consultant les ouvrages de cet auteur, puisse en retrouver la source. Notre lexique porte ainsi un caractère historique.

La langue tchouktche

La langue tchouktche ne comporte pas véritablement de dialectes. Cependant les activités traditionnelles nettement différenciées des éleveurs de rennes d’une part et des chasseurs de mammifères marins d’autre part impliquent l’existence de vocabulaires spécifiques. L’étendue des terres tchouktches a aussi engendré des différences dans la signification d’un même mot. Des mots différents peuvent désigner un seul et même objet. Il arrive aussi qu’un mot présente des variantes. Il existe un parler des hommes et un parler des femmes dans lequel, pour l’essentiel, le phonème r est proscrit. A quelques exceptions près nous donnons la forme masculine des mots. Au total, pour les locuteurs, qu’ils soient de la toundra ou du bord de mer, la langue possède une grande unité et ne pose pas aux uns et aux autres de notables difficultés de compréhension.

Le vocalisme des mots varie dans certaines conditions (flexion nominale, affixation, combinaison de radicaux, nombre, etc.). Un mot de vocalisme faible (voyelles e i u) peut ainsi se retrouver avec un vocalisme fort (voyelles a e o). Par exemple ныгтин'к'ин joli devient кынныгтэнкэн très joli après adjonction du préfixe intensif кыт- qui est de vocalisme fort. La voyelle ы- est soit faible soit forte. Faible, elle ne varie pas. Elle sert par ailleurs de voyelle de liaison. Les consonnes peuvent être aussi l’objet de mutations dans certaines conditions. Ainsi le préfixe intensif кыт- très, tout à fait, droit vers se rencontre sous les formes -гты-, -гт-, кын-.

La langue tchouktche possède une consonne glottale (notée phonétiquement par ʔ ) . On peut la trouver à l’écrit sous quatre formes différentes (ъ, ь, ', -), ce qui témoigne d’un ratage commis lors de l’élaboration d’une écriture tchouktche par les grammairiens russes. La conséquence est qu’un même mot peut présenter des graphies différentes : dans о'равэтльан homme la glottale est marquée par une apostrophe, dans мaльоравэтльан on dirait un homme, elle est marquée par le signe ь, et dans лыгъоравэтльан Vrai Homme (Tchouktche) elle est marquée par le signe ъ.

Un radical est susceptible de constituer à lui seul un mot. C’est le cas pour certains noms (к'эпэр glouton, ылвылю renne sauvage), adverbes (рыров loin, айвэ hier), postpositions (рээн avec), d’interrogatifs (титэ quand, мин'кы ), etc. Plus souvent le mot se présente sous la forme d’un ou plusieurs  radicaux pourvus d’un ou plusieurs affixes.

Le verbe possède un infinitif. Quand une aphérèse se produit dans le radical du verbe, j’ai indiqué entre crochets, après l’entrée de l’infinitif, la forme que prend le radical lorsque le verbe n’est plus à l’initiale. Ainsi, en face de l’entrée к'ытык aller on note /-лк'ыт-/ (нылк'ытк'ин il va, гэлк'ытлин il était allé). Mais к'ытгъи (il est allé) se présente avec aphérèse à l’initiale.

Les adjectifs sont en général affixés. Des déverbaux peuvent faire office d’adjectifs.

Pour ne pas alourdir cet ouvrage j’ai réduit au minimum le nombre des mots composés par affixation et par combinaison de radicaux. Il existe des affixes lexicaux, comme le suffixe –нн'э- acquérir (чимгъунн'эк acquérir de la jugeote, sur чимгъу- pensée), le circonfixe рэ-/-н'ы- vouloir, tenter (рэльунык tenter de trouver, sur льук trouver), et bien d’autres. La combinaison de radicaux en tchouktche ne concerne pas seulement les groupes adjectif-nom ou adverbe-verbe. A des degrés divers toutes les radicaux des mots composant le discours, verbe, nom, pronom, démonstratif, adjectif, adverbe, numéral,  postposition, conjonction, interjection peuvent incorporer un ou plusieurs radicaux ou leur être incorporés, l’ordre des termes pouvant surprendre. Exemple : н'агк'алетлы vers le bas de la montagne, avec le nom н'аг- montagne incorporé à l’adverbe к'алетлы vers le bas. Lorsqu’une notion ne peut se rendre que par un ensemble incorporé je l’inclue dans ce lexique. Ainsi чимгъупэлкынтэтык se raviser (чимгъу- penser, пэлкынтэтык revenir sur ses pas).

La langue tchouktche fait un large usage de multiples gérondifs et de participes qui peuvent se substituer aux formes fléchies du verbe. Par exemple le participe ивинильын (de ивиник chasser sur la banquise) peut signifier chassant, ou chasseur, ou il chasse ou il chassait. De même le gérondif гиткэтэ (de иткэк ravir, enlever, et circonfixe г-/-тэ) remplace une forme conjuguée en apportant une nuance d’action intemporelle : нэнэнэт к'ол гэнтэ aн'к'aтa гиткэтэ nos enfants, parfois, la mer les ravit.

J’ai parfois assorti le nom de son pluriel (ou de son singulier, selon le cas). Pour les noms en –льын, -чьын, -гыргын, -ян, -лк'ыл, -тъул, -инэн', -йыръын, -ё (participe passif), je n’ai pas indiqué le pluriel car ils forment toujours leur pluriel comme suit : –льыт, -чьыт, -гыргыт, -янвыт, -лк'ылти, -тъулти, -инэн'эт, -йыръыт, -ёт (причастие).

Les entrées sont faites dans l’ordre alphabétique français. Après le mot français vient le mot tchouktche et sa transcription phonétique, suivis des traductions anglaise et russe. Dans la mesure où le vocalisme d’un mot peut varier, j’ai souligné dans les phrases le mot illustrant une entrée donnée.

Remerciements

Que mes informateurs soient ici chaleureusement remerciés. Je suis profondément reconnaissant à I. Kulikova (Kymyrultyn’e)  qui a mis à ma disposition son précieux matériau sur les rennes, ainsi qu’à A. Qergynto et Z. Tagryn’a-Weinstein qui ont revu ce lexique avec beaucoup de dévouement et de compétence.

Charles Weinstein


(c) Réalisation informatique: Vincent Bénet  ( Laboratoire RAO du CRREA de l' INALCO )